Le cowboy dans les westerns
un mémoire écrit par El Lobo
Troisième Partie
LE COW-BOY AU CINÉMA
II. ÉTUDES DE FILMS
H/ Je suis un aventurier (The Far Country) 1954 d'Anthony Mann
Il est un autre film de transport de troupeaux, assez
original celui-là car il se passe dans la neige. C’est en effet dans le Nord
que se déroule l’action de Far Country (Je suis un aventurier, 1955)
d’Anthony Mann. Dès la première vision du troupeau et de son propriétaire (James
Stewart), le spectateur a l’impression qu’il a devant lui de vraies vaches et un
vrai cowboy. La venue de James Stewart au western fut une surprise pour de
nombreux critiques. Bien sûr il avait, en 1939, tourné Destiny rides again
de G. Bar shah, avec Marlene Dietrich, mais restait dans la catégorie de
personnages où l’on avait l’habitude de voir évoluer le grand Jirnmy : The Philadelphia Story, mr. Smith
goes to Washington, etc.
Les années de guerre avaient profondément marqué J. Stewart. Très patriote, il s'était engagé dans l'armée de l'air avant même l'entré en guerre des Etats Unis, renonçant aux avantages de la vie de star pour faire ce qu'il estimait être son devoir. Il devint instructeur sur B-17, puis part en Europe rejoindre la 8e Air Force et effectue un tour d'opération complet dans un groupe de bombardier B-24. Il termine la guerre comme colonel, après plus de 25 missions de guerre au dessus de l'Allemagne. James Stewart a su approfondir et élargir son jeu à la fin des hostilités. “I gawt ... tougher — and I found that in westerns I could do it an’ still retain what I was. People would accept it” (Je me suis endurci, et j’ai trouvé que je pouvais le faire sentir dans les westerns tout en restant ce que j’étais. Le public l’accepterait) déclare- t-il à Peter Bogdanovich dans Pieces of time, ouvrage dans lequel Bogdanovich consacra un délicieux chapitre en hommage à James Stewart “The respawnsibility of bein’ J... Jimmy Stewart”. Puis ce fut The broken Arrow (La fléche brisée, 1950) de Dave et tout de suite après Winchester 73, suivi d’une magnifique série de films avec A. Mann. Contre toute attente, Stewart se révèle l’un des meilleurs westerners d’Hollywood. Lorsque le grand Jimmy selle un cheval de ses mouvements d’apparence si gauches et pourtant si précis, l’on dirait qu’il n’a fait que cela toute sa vie. Lorsqu’il monte en selle, il a l’allure souple de ceux qui ont passé leur vie à cheval. Il est le westerner type.
Dans sa biographie sur James Stewart (Pyramid illustrated of the Movie, 1974), Howard Thompson écrit que l’image qui se dégage de James Stewart dans la galerie de ses derniers westerns “is that of a wiry, cautious-footed beanpole, hat and clothes hanging loosely, of slow and barbed-wire plain talk and eyes that bore through as surely and methodically as acid” (est celle d’un grand type mince et sec, toujours sur le qui-vive, au chapeau et aux vêtements flottants librement, aux phrases simples mais acérées et aux yeux perçants aussi sûrement et méthodiquement que de l’acide).
Cette image de Jimmy Stewart s’applique tout aussi bien à ses premiers westerns. Sa tenue d’ailleurs n’est pas due au hasard. J. Stewart lui-même a toujours soigneusement choisi son costume en fonction de ses personnages. Il a toujours conservé le même stetson pendant des dizaines d’années, le trimbalant de film en film avec la même vieille paire de chaps.
Mais revenons-en à James Stewart dans Far Country : le bateau accoste et l’on installe de larges passerelles pour débarquer le bétail des cales. Les vaches sortent affolées et galopent sur le quai, et J. Stewart, passager clandestin, surgit au galop au milieu des vaches, longues jambes gainées de chaps reposant au fond des étriers, les reins souples, baissant la tâte pour passer le portillon et se mêlant étroitement au troupeau pour échapper au contrôle des quais. Peu d’acteurs de western surent être autant crédibles au milieu des vaches que J. Stewart.
Tout au long du film, Jeff Webster poursuit son troupeau, qu’on lui vole dès qu’il le récupère. Têtu, individualiste, obstiné, vénal, il s’acharne à récupérer ce troupeau qui représente tout son capital. Personnage le plus caractéristique des films de Mann, il reste une image typique du westerner entreprenant. homme de peu de mots, il observe beaucoup, se décide vite, ne change pas facilement d’idée, et surtout professe un individualisme bien proche de l'égoisme “Cela ne me regarde pas ... il ne faut pas se faire tuer pour rien ... il ne faut pas s’en mêler , .. Je ne suis pas venu ici peur me faire tuer ... Nous avons notre argent, nous filons ...“. Si Jeff Webster fait oeuvre d’utilité publique à la fin du film en abattant le juge Gannon, c’est peut-être plus pour venger la mort de son vieil ami Ben Tatem (l’extraordinaire Walter Brennan) que par abnégation altruiste au service de la collectivité de villageois qu’il avait d’abord refusé d’aider pour mieux défendre ses intérêts. “Si j’aime tant The Far Country’, écrit Raymond Bellour dans son article “Le grand jeu” (Le Western 10/18), “c’est qu’on y trouve incarné à l’extrême l’acharnement tour à tour désespéré et triomphant de l’individualisme auquel le cinéma américain doit tout”. Il écrit d’ailleurs plus haut “Stewart incarne ce moment où le héros, avec une rageuse obstination, n’entend tenir le monde que de soi. L’histoire, la société le guettent, il cède à l’utopie d’une vie aux accords virgiliens, il se débat entre l’intégration morale et idéologique, et le désir de l’impossible”.
C’est un des films aussi où les relations entre le héros et ses armes sont les plus dramatiques. Déjà, dans The Man without a Star, c’est en recevant son holster des mains de son amie que Kirk Douglas, battu et meurtri, se relève pour reprendre la lutte. Dans Rio Bravo, Dean Martin retrouve une sorte de dignité lorsque Walter Brennan lui rend ses colts. Dans The Far Country, Jeff Webster, blessé à la main, caché dans une cabane isolée, lève les yeux vers son holster pendu au mur, le visage tordu de douleur. “S’il ne peut saisir l’arme entre ses doigts, poursuit R. Bellour, ce n’est pas un principe moral et intangible qui s’effondre, mais un homme qui meurt pour avoir mal joué la seule carte qu’il possède : sa vie
Autant que le jeu des acteurs, la photographie du film est superbe, les paysages de neige sont admirablement rendus, “l’air même ne s'y sépare pas de l’eau” comme le remarquait A. Bazin. Freddy Buache lui-même, pourtant assez partial envers le western en général, ne peut s’empêcher de noter dans son ouvrage Le Cinéma américain : “La simplicité apparente de sa mise an scène relève d’une remarquable sûreté. Le scénario donne à Mann la possibilité de lier le paysage à l’aventure, ou plus exactement de faire du paysage une véritable expression de l’aventure.” Le scénario est en effet de qualité, signé de Borden Chase, d’après un roman d’Ernest Haycox, auteur d’honnêtes romans de westerns et à qui l’en doit, entre autres, le scénario de Stagecoach, adapté par Dudley Nichols, d’après la nouvelle Stage to Lordsburg (Haycox, 1937).
The Far Country reste aussi célèbre pour la petite
clochette que J. Stewart porte accrochée à la corne de sa selle. C’est sur elle
d’ailleurs que se termine le film (les méchants maniaques diront qu’il ne
devait pas se servir souvent de son lasso pour garder une clochette à un endroit
pareil, mais pourquoi chercher à gâcher son plaisir ?).
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