Le cowboy dans les westerns • Western Movies •

Le cowboy dans les westerns

un mémoire écrit par El Lobo

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Troisième Partie

 

LE COW-BOY AU CINÉMA

 

II. ÉTUDES DE FILMS

B/ La Rivière Rouge (Red River) 1948 d'Howard Hawks

  

Cowboy fut l’un des films les plus célèbres à nous montrer le travail des vachers, mais "Red River" fut le premier des “grands” westerns à le faire. Inspiré d’un roman de Borden Chase, The Chisholm Trail, "Red River" nous relate l’histoire des premiers grands transports de troupeaux jusqu’à Abilene. Et c’est un film d’Howard Hawks, son premier western. ( Viva Villa (1934) relevant d’une tout autre mythologie et The Outlaw (Le Banni) fut réalisé par H. Hugues, Hawks n’ayant tourné que les dix premières minutes.)

 

Et Hawks nous explique tout - comme lui seul sait l’expli­quer - de l’organisation de ces premiers long drives. Le script est simple - comme toujours chez Hawks - et le film se lit avec un plaisir croissant - comme toujours avec Hawks. Le scénario ne fut pas un problème : le roman de Chase semble avoir été écrit pour le cinéma, et le personnage de Dunson créé pour Wayne. Malheureusement, Hawks n’était pas un amoureux du vieil Ouest aussi passionné que l’était Chase. Dans son entretien avec Michel Ciment, publié dans Positif de juillet-août 1977, Hawks déclare “Borden Chase a commencé à travailler au scénario et nous ne nous sommes pas bien entendus car je voulais apporter beaucoup de changements et il n’était pas d’accord”. C’est bien dommage car Chase est un grand spécialiste des choses de l’Ouest, et une étroite collaboration ave Hawks eût certainement produit le plus remarquable des westerns, et ce à tous points de vue. En dehors des points de détail, l’un des plus importants changements du scénario par rapport au roman est dans le dénouement : dans son roman en effet Chase fait mourir Dun­son, ce que Hauks se refusa à faire.

 

 

Jean-Loup Bourget, dans son étude sur “Hawks et le mythe de l’Ouest américain” (Positif n0 195-196), trouve que “les inexactitudes relevées par Borden Chase apparaissent bien vénielles, qu’il s’agisse de la race des bestiaux ou du nombre de revolvers qu’on trouvait au Texas vers 1865”. Nous n’avons malheureusement pu li­re les critiques de Chase, mais nous an devinons aisément la teneur.

 

Parlons rapidement des inexactitudes, qui ne sont pas si “vénielles” que le dit Bourget, en ce qu’elles sont encore ici vo­lonté délibérée du réalisateur.

Les vaches bien sûr ne sont pas des longhorns, et Hawks n'y pouvait pas grand chose, ou presque; il est donc inutile de s’y attarder, si ce n’est pour on souligner le prétendu nombre, bien trop fantaisis­te : on nous parle en effet de 10.000 têtes dans le film : la “Chisholm trail” ne vit jamais si grand troupeau. L'arrivée des vaches à Abilene constitue aussi une inexactitude: le 14 août 1865, nous dit le film. Or, nous l’avons vu, ce n’est qu’en 67 qu’Abilene fut reliée au chemin de fer, les premiers wagons de vaches n’ayant quitté Abilene que le 5 septembre 1867. Les revolvers sont aussi intéressants. Tous les personnages utilisent des colts sim­ple action modèle 1873, et Wayne ne se sépare pas de sa chère winchester 92. Or, nous l’avons vu, les premiers transports de trou­peaux vers Abilene datent de 1867. Donc anachronisme évident, mais banal. Tout semble dit là dessus, et il suffirait d’en prendre son parti. Mais ici la chose n’est pas si simple ! Le début du film nous présente Dunson-Wayne jeune et entreprenant cowboy s’établissant sur les terres d’un, certain Don Diego en 1851 .. . Ellipse ... et voi­là Dunson vieilli d’une dizaine d’années, et le jeune Matt arrivé à l’âge d’homme. Et c’est là que se produit l’astuce : dans les scènes d’introduction, le jeune Dunson et Groot (Walter Brennan) utilisent des colts et remingtons à percussion ; ce n’est qu’après l’ellipse et le laps de temps soi-disant écoulé que l’on voit apparaître un armement plus récent. Il y a donc ici volon­té délibérée de souligner et renforcer l’effet de l’ellipse par les détails d’équipement. Détails amusants, mais supercherie digne de Leone, car à l’apparition dans le film du colt 1873 nous ne sommes encore qu'en 1865, et cela ne pouvait être ignoré de celui qui ima­gina cette inexactitude-pour-faire-authentique qui laisse rêveur. Car enfin, pourquoi ? Le grand public ne s’aperçoit même pas du changement, et le connaisseur qui le remarque ne peut manquer de noter l’anachronisme. Voilà de quoi confondre le critique averti qui n’y comprend plus rien, et faire enrager Borden Chase ... Inexactitudes vénielles, peut-être, mais naïves sûrement pas.   H. Hauks prétendait fermement être un réali­sateur de westerns “réalistes”, mais de nombreux critiques, dont Gérard Legrand, “éclatent de rire” face à un “réalisme prétendu de H. Hawks”. De tous ses westerns, seul Red River s'appuie sur des données historiques et géographiques bien précises. Mais cela est du fait de Borden Chase et non de H. Hawks.

Maurice Zolotov parle longuement de Red River dans sa biographie de Wayne, et nous donne de nombreux détails quant à la réalisation du film “Hawks came up with a marvellous idea, he thought. He would get authentic real Arizona cowboys to play themselves in Red River. He signed up seventy real cowboys. This got him excited. He felt like Rossellini going out in the streets of Roma and finding men and women to play in his neo-realist pictures. Why, he was breaking fresh ground. Nobody has ever used so many real cowboys before in one picture. He hired horses by the dozens and a thousand heads of cattle; the horses would represent hundreds of horses and the cattle ten thousand heads of cattle to be shown on the screen” (Hawks eut une idée - pensait-il - merveilleuse. Il prendrait de véritables cowboys de l’Arizona pour jouer leur propre rôle dans Red River. Il engagea 70 authen­tiques cowboys. Cela l’excita. Il se sentait comme Rossellini des­cendant dans les rues de Rome à la recherche d’hommes et de femmes pour ses films néo-réalistes. Diable ! Ça, c’était du nouveau. Personne n’avait jamais utilisé autant de véritables cowboys dans un seul film auparavant. Il loua des chevaux à la douzaine, et un millier de vaches; les chevaux représenteraient des centaines de chevaux et les vaches dix mille têtes de bétail sur l’écran). Mais Wayne se heurta à Hauks sur ce point il ne voulait pas d’"amateurs” pour jouer le rôle des cowboys: un vrai cowboy n’aura pas, devant la caméra, l’air aussi “authentique” qu’un acteur professionnel. Ainsi va le cinéma. “I don’t go on this deal - déclara Wayne - unless you get some professional western actors and a dozen trained western stuntmen” (Je ne marche pas dans cette histoire ..., à moins que vous ne preniez quelques acteurs de westerns professionnels et une douzaine de cascadeurs de westerns entrainés). La longue expé­rience de Wayne dans ce domaine dut faire poids, et Hawks se rendit à ses raisons. Wayne ajouta “By God, he learned fast and found out how to rnake westerns” (Bon Dieu, il apprit vite, et a découvert l’art de faire des westerns).

 

 

Mais malgré l’inexpérience de Hawks dans le domaine du wes­tern et son manque d’intérêt pour le Old West, Red River reste l’un des films les plus importants de ceux dédiés au travail du bé­tail. Certes, le film est encombré d’anachronismes du type de sel­les aux cornes des vaches; mais que de compensations ! Le passage de la rivière, le stampede de nuit, le round-up, autant de scènes fortes, admirablement filmées, expliquées pourrait-on dire. L’ar­rivée du troupeau à Abilene, les petits détails d’équipement (le cowboy au chapeau rond), la distribution des carabines dans leurs étuis de selle à l’annonce des Comanches, autant de scènes à réjouir l’ama­teur, et à lui faire peut-être oublier la trop conventionnelle at­taque de Peaux-rouges. Dire que la caméra de Hawks est intelligente, explicative, démonstratrice, est devenu un cliché, mais on ne peut s’empocher de le répéter. La scène du cowboy volant du sucre par gourmandise dans le chuck wagon et provocant le stampede par maladresse est à l’é­gal du sang coulant dans la bière de Rio Bravo : une parfaite dé­monstration de maîtrise dans la simplicité. Et que de scènes jus­tes par leur naturel : Montgomerry Clift et Noah Beerry Jnr regar­dant avec un ravissement étonné un plafond au dessus de leur tête à leur arrivée à Abilene après plusieurs mois de plein air, l’enterrement du cowboy, avec son petit nuage providentiel, et l’admirable Walter Brennan qui créa le type classique du cuisinier de drive, avec son tablier et son chuck wagon. Même les intempéries ne peuvent gêner un H. Hawks qui, de­vant des pluies imprévues, adapte le scénario et filme une scène ex­traordinaire de bétail sous la pluie, poussé par des cavaliers vêtus de longs slickers  dégoulinants d’eau.

 

Le personnage central - Dunson - correspond bien à ce que devaient être les premiers aventuriers à entreprendre un tel pro­jet. Il est certes directement issu du récit de Chase. Mais c’est à Hawks et Wayne que revient le mérite de l’avoir fait vivre. A l’origine, Hauks désirait Gary Cooper pour le rôle. Ce dernier trouvait - avec raison - que le personnage ne correspondait pas à son image auprès du public. Carry Grant, à qui Hawks proposa le rôle de Cherry Valance, le gunfighter, refusa, trouvant le rôle pas assez important pour lui (ce fut John Ireland qui interpréta finale­ment le personnage).

 

Wayne fut un choix heureux : il est Dunson, jusque dans ses défauts. Il composa d’ailleurs profondément le personnage avec Hawks. Ce dernier par exemple voulait que Dunson ait l’air plus vieux, plus diminué, n’aimant pas trop la façon dont Wayne marchait et parlait, le trouvant trop alerte pour un homme âgé. Wayne rap­pelle “Hell, I was thinkin’ about those old cattle guys I knew when I was a kid around Lancaster and there wasn’t one of them that didn’t stand tall. I played Tom Dunson my own way, standin’ tall”  (Je pensais à tous ces vieux types du bétail que je connaissais quand j’étais gosse autour de Lancaster, et il n’y en avait aucun d’entre eux qui n’allât tête haute. J’ai joué Tom Dunson à ma fa­çon: tête haute).

 

Par bien des cotés, le personnage de Dunson rappelle celui de Glenn Ford dans Cowboy. Ce dernier fut souvent traité d’égoïste, de cynique et d'inutilement dur par la critique. C’est encore une fois oublier de replacer un personnage dans son contexte historique. un chef de troupeau en ce temps-là ne pouvait pas se comporter comme un membre de l’Armée du Salut, et quelque déplaisants que puissent être les traits de caractère de Wade ou Dunson, ils sont parfaite­ment en accord avec la réalité des personnages. Dunson va beaucoup plus loin que Wade-Ford dans la dureté et l’intransigeance, mais le début du film nous explique les motivations de son caractère qui reste logique sur le plan psychologique. Bien sûr le dénouement semble être une concession au happy-end hollywoodien et le roman de Chase est ici supérieur.

 

Ce ne fut évidemment pas le seul cowboy qu’interpréta Wayne à l’écran. Son nom est synonyme de cow­boy. Mais il incarna finalement assez peu de vacher pro­prement dit. S’il est presque éternellement vétu de l’habit tra­ditionnel du cowboy (et Dieu sait pourquoi dans des rôles de mar­shal ou de gunfighter), il est assez rarement vu au milieu d’un troupeau. On le voit dans les Géants de l’Ouest escorter un trou­peau de chevaux sauvages en compagnie de Rock Hudson. Mais il n’est là que cowboy par accident, le film se déroulant pendant la guerre civile et Wayne interprète le rôle d’un officier des armées de l’Union. C’est surtout dans Chisum et Les Cowboys que Wayne re­tourne au travail d’éleveur.

 


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