Le cowboy dans les westerns
un mémoire écrit par El Lobo
Troisième Partie
LE COW-BOY AU CINÉMA
I. ANACHRONISME, REALISME ET REALITE
B/ DES PERSONNAGES
De tous les personnages les plus anachroniquement traités des Westerns, c’est certainement la femme qui vient en tête. Joan Crawford dans Johnnny Guitar ou Barbara Stanwick dans "Forty Guns" font la joie des cinéphiles, mais leur personnage relève de la pure fiction. La société de la frontière des années 70 était phallocrate, machiste, puritaine et guindée. La société féminine se divisait en deux parties bien distinctes : "painted women and ladies". Et ceci n’est pas une simplification outrancière ni un défoulement de manichéisme simpliste teinté de misogynie: il suffit de regarder tous les textes et ouvrages traitant de la vie quotidienne au XIXe siècle aux Etats-Unis (et on Europe c’était la même chose). Ford dans "Stage coach" reproduit ce schéma, devenu lieu commun par la suite et traité de simpliste par foule de critiques. L’image de la femme dans l’Ouest, telle qu’elle fut sans doute, se trouve dans Shane, dans Will Penny, High Noon ou Man of the West. Il était en ce temps-là impensable de voir une dame en pantalon (moulant, de surcroît), ou montant à cheval à califourchon. Les dames utilisaient calèche et buggy, parfois la selle d’amazone (et la robe), ceci étant surtout réservé aux femmes les plus “libérées”, se souciant peu de choquer les convenances. Le personnage de femme forte dirigeant un ranch de main de fer et avec compétence a certes existé, et l’ouvrage "Cow-Boy" de Life-magazine nous offre une belle galerie de portraits de ces “Cattle Baroness”, mais aucune ne ressemble au personnage de "Johnny Guitar" par exemple, où Joan Crawford, moulée de noir, colt au coté, dirige ses hommes comme le ferait un chef de bande. Le type de “cow girl” en bottes, jupe frangée ou pantalon, directement issue d’Annie Oakley et autres vedettes du cirque de Cody, n’est qu’une concession facile aux mœurs contemporaines. Marilyn Monroe reste à la limite du vraisemblable dans "La rivière sans retour" si l’on tient compte du fait qu'elle est chanteuse de saloon, sans réputation, n'ayant plus rien à perdre à paraître en pantalons. Voulant sortir de la convention où étaient tenues les héroïnes de western, bon nombre de scénaristes cherchèrent à créer des personnages de femme forte, libérée, dominante, dans lesquels pourraient se reconnaître les femmes américaines de nos jours. C'est renvoyer le western dans une convention encore plus grande par la création de types fictifs sans rapport avec le côté plausible des caractères. Il y eut certes de ces femmes fortes. Quelques femmes eurent une surprenante carrière "d'homme," menant l'arme au poing et en pantalon une vie aventureuse, conduisant les diligences, les convois de mules, servant d'éclaireur pour l'armée ou participant à des hold-up en compagnie de hors la loi. Jane M. Cannary, dite “Calamity Jane”, en fut, sa célébrité venant - entre autres - de son mode de vie sans complexes et de son déguisement d’homme. Belle Starr, célèbre pour ses liaisons avec de nombreux brigands et complice de plusieurs hold-up, n’apparaissait en pantalon que lors de ses fameux coups de mains. Certaines photos célèbres la montrent effectivement une arme à la ceinture, mais dans un costume de cavalière à large jupe et montée en amazone.
La fidélité à une réalité de l’époque n’est en rien sclérosante pour le réalisateur, bien au contraire la facilité étant de se libérer de la réalité dans la description des personnages. Jean Arthur dans "Shane", tout on restant fidèle à ce que devait être la condition féminine du temps, présente un personnage bien vivant et d’une grande intensité. Le mythe de la femme-pionnier à large jupe et aux nerfs d’acier, symbole éternel de la femme mère et de la femme épouse, fut néanmoins largement exploité avec parfois beaucoup de bonheur, par exemple dans Westward the Women (Convoi de femmes). George Albert Astre, dans L’Univers du Western, y voit “le symbole un peu théâtralisé d’une ancestrale vertu”. Il ajoute à ce propos que “le western résulte toujours d'une interprétation de la réalité ancienne - celle de la conquête de l'ouest - et de la réalité présente, l'une se projetant sur l'autre et la modifiant sans cesse dans ses significations".
Il est inutile de s'étendre sur les films dont l'héroïne est le produit typique de l'érotisme hollywoodien, aussi agréables soient-ils à regarder. Allan Dwan, dans "The woman who got lynch" pousse le paradoxe jusqu'à mettre en scène un "gun fight" féminin dans une amusante parodie de western où des héroïnes très "women-lib" tiennent des rôles qui sont habituellement l'apanage des males : "Elle monte mieux à cheval que toi, elle tire mieux que toi, et je parie qu'elle fait mieux la cuisine que toi" dit un des bandits à sa maîtresse. L'on pourrait opposer ici le film d'Howard Hugues, "The outlaw", où les héros misogynes couchent avec la même fille mais se disputent le même cheval. Dans" les Pétroleuses", Bardot et Cardinale apportent à la parodie un agréable moment, mais nous sommes bien loin d'un Ouest où les femmes étaient au nombre d'une pour dix hommes, en un temps ou l'érotisme s'arrêtait à la finesse des poignets et aux bottines à boutons que découvraient parfois sous la jupe les multiples jupons.
Le racisme est un autre des grands thèmes fort maltraités dans les westerns. L'antiracisme est une conception somme toute assez nouvelle, et peu vraisemblable au temps de la "Frontière”. C’est un thème certes délicat à traiter justement, sans prendre aux yeux de la critique un ton politiquement très incorrect. Les affiches que l’on voyait à l’entrée des saloons, interdisant l’entrée aux métis, Mexicains, chiens et indiens, en disent long sur la mentalité de l’époque. Les Mexicains étaient traités de “greaser” (Crasseux), “half-breed” (métis) était une insulte, et un “squaw-man” (celui qui vit avec une Indienne) était ostracisé. Les célèbres gunfighters ne comptaient jamais indiens, noirs, ou métis dans la liste - réelle ou imaginaire - de leurs victimes. Tout l'Ouest était alors engagé dans des guerres colonialistes ou les atrocités de part et d'autre furent innombrables. Si quelques hommes généreux aux idées avancées existèrent, il n'en demeure pas moins que les WASP (White Anglo Saxon Protestant) en ce temps là étaient essentiellement et profondément racistes, sûr de leur bon droit et de leur supérioté. Le Ku-Klux-Klan, la chasse à l'indien, l'extermination de la vermine rouge étaient considérés comme choses normales. Lorsqu'on relit les récits d’époque, il est évident qu’ils ne pourraient être admis de nos jours : le citoyen normal du XIXe siècle de la “Frontier” serait aujourd’hui cloué au pilori du racisme. C’est un peu de ce racisme naïf, sûr de son bon droit que l’on retrouve dans la plupart des westerns des années 30 à 40, avant la prise de conscience générale sur ce sujet. La situation imaginée par le scénariste de Budd and the Preacher mettant an scène Sydney Poitier et Harry Bellafonte est un simple véhicule commercial à destination des Noirs d’Amérique et du marché africain : une telle situation ne pouvait absolument pas se produire en ce temps-là. G.E. Astre, dans son Univers du Western, nous dit, parlant des années 1920 :
“C’est d’ailleurs l’époque où le racisme larvé qui a marqué le western à ses débuts, prend, à l’occasion, d’agressives apparences. un film comme "Shooting Square" qui n'a sous d’autres aspects aucune véritable dimension politique, en témoigne clairement: le héros et l’héroïne vont être mariés par un Noir, et l’héroïne alors s’indigne : il faut un blanc pour semblable office; et son partenaire se borne à dire “Je ne savais pas qu’il était noir !“. La réplique passerait assez mal en 1972 et tout porte à croire que Hollywood s’abstiendrait de l’insérer dans le script d’un film”.
En face d'un tel exemple de naïveté raciste, vraisemblablement fidèle reflet du temps, l'on peut imaginer ce que devaient être les sentiments de monsieur tout le monde dans l'Ouest de 1870, l'esclavage des noirs ayant été chose courante peu d'années auparavant. Scalphunter fut l'un des rares westerns à traiter ce problème en essayant de ménager la réalité et la sensibilité des spectateurs modernes.
Il est alors aisé d'imaginer ce que pouvaient être les sentiments d'une population somme toute primitive envers les peaux-rouges en un temps ou ceux-ci représentaient une menace bien réelle. C'est un peu ce que nous montre Ford dans les "Deux Cavaliers". De nombreux critiques ont d'ailleurs reproché à Ford d'exprimer un certain racisme tout au long de sa carrière : C'est faire l'erreur de juger une œuvre passée en fonction de critères contemporains. Qui pourrait dire quel genre de films nous offrirait Ford aujourd'hui? "The Seachers" (la prisonnière du désert) et "Sergeant Rutledge" (Le sergent noir) restent parmi plus beaux film traitant du racisme. Si l'on tue peut-être volontiers d'anonymes indiens dans Stage coach, ceux de "Cheyenne Autumn" n'en sont pas moins filmés comme peu ont su le faire.
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